Journal de bord

Télécharger (même illégalement) n'est pas voler

Voler, c'est soustraire quelque chose à son propriétaire : un objet (comme une voiture), de l'argent, des bijoux, un sac à main. Quand on télécharge un fichier (même illégalement), on ne le soustrait de nulle part (il est toujours sur le serveur à partir duquel on l'a copié). C'est même le contraire : on le duplique, on le clone. Quand le fils du charpentier multipliait les petits pains il y a deux millénaires, les boulangers ont-ils crié au vol ? Est-ce que photographier la Joconde retire la toile du Louvre, ou empêche d'autres personne de la voir ?

Télécharger illégalement ne relève pas du vol (en droit français), mais du délit de contrefaçon. Paradoxalement, le délit de contrefaçon est potentiellement plus sévèrement puni par la loi (jusqu'à 300 000 euros et 3 ans de prison). Alors pourquoi continuer à traiter les pirates de "voleurs" (sur des œuvres acquises légalement de surcroit) ? Pourquoi est-ce moi qui dois me farcir le film de propagande démagogique, alors que j'ai acheté ce DVD ?



Critiquons ce petit film de propagande :
- premièrement, on y fait un amalgame entre le téléchargement illégal (délit de contrefaçon, vous l'avez bien compris désormais) et le vol, ce qui est totalement faux !
- deuxièmement, on y met en scène des vols d'objets individuels (une voiture, un sac à main, une télé). Entre voler la voiture de mon voisin (objet de grande valeur financière pour lui, et qui va immédiatement avoir un impact négatif sur sa vie, l'empêchant par exemple de se rendre à son travail), et dupliquer un fichier appartenant à la Warner, je doute que le préjudice et la gêne soient comparables...
- troisièmement, le vol est mis en scène de manière violente (effraction pour le vol de télé, vol à l'arrachée du sac, voiture fracturée au pied de biche, ...). Pourtant, je n'ai pas écrasé la moindre marguerite de la pelouse des bureaux de la Twentieth Century Fox pour télécharger un de leurs films, je n'ai même pas eu à sortir de chez moi, tout comme la fille qui télécharge dans le clip... Alors pourquoi ce parallèle sur la violence du vol ?




Si, lors d'un débat sur le téléchargement illégal (piratage), l'un ou l'autre des interlocuteurs laisse échapper un "télécharger c'est voler" ou "quand je vais chez le boulanger, j'achète ma baguette de pain, je ne la vole pas", alors il est temps de lui expliquer la différence entre une soustraction (vol) et une multiplication (copie), même illégale.


Le droit d'auteur français stipule qu'il est interdit de copier (contrefaire) une œuvre sans l'accord de son auteur (ou des ayants-droit), accord qui est généralement monnayé, d'où la légalité ou non du téléchargement. Problème : comment estimer le manque à gagner d'un auteur qui s'estime spolié, alors même que le prix de la duplication d'une œuvre immatérielle est tellement subjectif ?



Pour l'industrie et les ayants-droit, le calcul est simple : une œuvre téléchargée = une vente ratée. Sauf que ce calcul simpliste est évidemment faux, et personne aujourd'hui ne peut affirmer (de bonne foi) qu'un téléchargement illégal équivaut à une vente ratée...

Comment être certain que le méchant pirate aurait effectivement payé pour l'œuvre s'il n'avait pas pu la télécharger illégalement ? Prenons un exemple concret : moi (c'est mon site, après tout, un peu de narcissisme me semble de mise). Il m'est arrivé, souvent, de télécharger illégalement des films. Soit des films que j'avais déjà vu et que j'avais envie de revoir, mais pas assez pour les acheter, soit des films que je n'avais jamais vu et pour lesquels je ne voulais pas prendre le risque d'être déçu en ayant acheté un DVD qui ne m'aurait pas plu. Dans ces deux cas, je n'aurais de toutes façons pas acheté le DVD si je n'avais pas pu le télécharger : j'aurais attendu de le voir chez quelqu'un, ou qu'on me le prête.
Par contre, il m'est arrivé plus souvent d'acheter en DVD un film que j'avais préalablement téléchargé illégalement, parce qu'il m'avait plu. Là encore, si je n'avais pas pu le voir, je ne l'aurais pas acheté.

Le téléchargement illégal peut donc paradoxalement permettre de générer des ventes de DVD, dans des mesures probablement minimes, mais qui ne peuvent que très difficilement être quantifiées.

L'autre facteur est financier : quand un adolescent de 16/17 ans "pirate" Photoshop, il est évident qu'il n'aurait jamais eu les moyens de se le payer. Par contre, s'il devient graphiste professionnel quelques années plus tard, il achètera très probablement la licence du logiciel qu'il connaît le mieux. Achèterait-il sa Creative Suite à 25 ans s'il ne l'utilisait pas illégalement depuis des années ? Là encore, personne n'a la réponse, alors ayons au moins l'honnêteté de dire qu'on ne peut pas savoir...

À l'heure où la SACEM joue le double-jeu de soutenir l'HADOPI (sous couvert de protection des artistes, j'attends encore qu'on m'explique en quoi couper la connexion Internet de madame Michu va rapporter plus d'argent aux artistes), puis de demander une taxe sur les F.A.I. (un nouveau prélèvement, après la copie privée), on est vraiment en droit de se demander sur quelles bases sont effectuées les différentes études qui aboutissent à une hausse des taxes sous couvert de manque à gagner de l'industrie....

Même si la rémunération des artistes est un vrai problème à l'heure où il est plus simple de télécharger illégalement que d'acheter légalement, est-ce vraiment en traitant leurs propres clients de voleurs que les industriels du divertissement espèrent favoriser les offres légales ?

La suppression des DRM, l'inter-opératibilité et une approche pédagogique (et non pas répressive) serait certainement plus payante à long terme. Cela impliquerait de faire confiance aux Internautes et de les responsabiliser, au lieu de vouloir restreindre leurs libertés de force.
Une idée à laquelle l'industrie du divertissement et les pouvoirs politiques ne sont visiblement pas prêts à consentir...